Par Jean-Marc Huitorel 1995.
L’origine mais aussi l’originalité de la gravure de Maya Mémin réside moins dans une technique spécifique et les virtuosités parfois vaines que cela suppose que dans la nature même des matrices qu’elle utilise. Après avoir longtemps travaillé à partir des formes en zinc que produisent les couvreurs (gouttières, faîtages etc.) d’où elle avait su extraire un univers personnel et puissant, voici qu’elle s’intéresse à ce qui touche d’on ne peut plus près aux constituants de la gravure puisqu’il s’agit du papier lui-même et des moyens modernes de l’impression, la plaque offset en particulier. C’est cette forme aux franges perforées qui sert de point de départ à une importante série de gravures sur papier Japon, des images qu’elle tire jusqu’à épuisement de la couleur. C’est l’emballage en papier tramé dans lequel ont voyagé les belles feuilles de ce même papier dont elle use pour un autre ensemble qui tend davantage vers le monochrome dans un identique souci d’épuisement de la source colorée. A la différence des grandes gravures sombres des années précédentes, c’est aujourd’hui la couleur qui prime. Néanmoins, la saturation qui dominait dans les premières séries a récemment cédé la place à l’idée de déperdition. De la joyeuse acidité de ces drapeaux qui claquaient leurs couleurs (comme on dit « claquer son fric »), Maya Mémin est passée à l’utilisation acharnée du peu qui reste -et moins encore à chaque tirage. Alors qu’on aurait pu penser à une fascination grandissante pour la peinture, c’est, tout au contraire, dans l’admirable méfiance vis à vis de l’objet unique et grandiloquent, dans la légère et généreuse discrétion du multiple (et non pas évidemment de l’identique) que s’inscrivent les derniers travaux. C’est l’énergie d’un processus toujours mené jusqu’à son terme, la dépense définitive de ce que permet la matrice qui importent et non le souci frileux des exemplaires numérotés. Mais la détermination sans fioritures de l’attitude n’exclut pas, loin s’en faut, des références complexes et subtiles à certains aspects du modernisme. Ainsi, l’usage fréquent du carré allié à la vibration colorée si particulière que permet la gravure peut faire songer à Josef Albers autant qu’à Mark Rothko. Cependant il n’est pas inutile d’y associer ces carrés d’offrandes qu’utilisent certains rituels hindouistes à des fins de communion avec les ancêtres, ces papiers produits en quantité puis griffonnés de messages ou bien brûlés. Et c’est en effet bien cette beauté indiscutable et volatile qui caractérise les dernières gravures de Maya Mémin, non pas la beauté concentrée dans un unique magnifié mais plutôt celle, circulante et multiple, qui s’inscrit dans ce temps qui épuise les formes et leur confère toute l’émotion qui sied à l’éphémère.