Par Danielle Robert-Guédon 

Vouloir découvrir l’image dans le tapis, Henry James nous l’a dit, est toujours vain. Pas davantage que dans une œuvre littéraire on ne saurait affirmer à propos du travail de Maya Mémin avoir mis le doigt sur le secret qui la pousse, depuis des années à graver obstinément, dérobant ce que d’autres abandonnent ( et la liste est longue de ce dont on pense pouvoir se délester sans dommage ), débris, restes de soustractions courantes qui lui permettent une plus savante équation : l’équivalence du temps et du monde avec, comme seule inconnue, le hasard. Celui qui l’a mené en Asie où elle a vécu cinq ans et d’où elle a rapporté la particulière sensibilité à la lumière, le goût du papier, de sa matière.
Aux hasards successifs qui jalonnent sa vie, comme toute vie, elle ne fait aucune allusion directe. Mais ce qui l’impressionne, elle le grave : ne rien laisser échapper, garder le mystère du rebut qui supplie. Aux drames, petits ou grands, elle préfère la trame. Elle n’admet que les paroles d’éblouissements, taisant les composantes purement autobiographiques de son œuvre ; elle dit aimer dans la gravure, “  l’effacement de la couleur par le rouleau, la presse qui écrase l’encre et efface le soi qui déborde… ”
Les débordements de Maya Mémin ne sont pas de cet ordre mais dans les apparents aplats qui ne demandent qu’à se redresser, telles les maquettes que l’on découpe selon les pointillés pour reconstituer des volumes.
Il semble en effet, que les figures privilégiées, et ce depuis qu’elle utilise comme matrice tout ce qui est à sa portée ( zincs usés de toitures, plaques offset d’imprimerie, papier kraft armé de ficelle, etc), ne servent qu’à envisager la restauration du monde : carrés, rectangles et demi-cercles sont les formes communes à tous ses travaux, éléments de base assemblés avec la même évidence, que ce soit pour tailler un tee-shirt (tee-shirt soit/soie), bâtir des pans de murs ( papiers/papiers), ou dessiner une marelle (Césure). Toutes choses appelant la présence humaine, c’est à dire l’idée que se fait Maya Mémin de la verticalité. Dès lors, son matériau de prédilection, loin du papier couché, fait fonction d’enveloppe. Nous sommes devant une œuvre charnelle, gonflée d’impulsions.
Une série récente intitulée Linges rendus à la lumière fertile* devient emblématique des préoccupation de l’artiste. Matières, transparences, formes et influences orientales conjuguées parviennent à donner un tout autre statut à des blouses d’hôpital en papier. Des blouses jetables, dites à usage unique, dont s’empare Maya Mémin pour en retenir le terme et lui redonner sa signification première, comme on redore un blason. Uniques au point d’être tenues d’apparat dans lesquelles il devient pensable de se glisser pour esquisser des pas, tout comme la marelle suggère le sautillement et lesbannières tendues le jeu de la déambulation.
Des bannières que l’on compulse comme des livres et dont le dos serait la bande étroite, plus foncée ou plus claire, rythmant le cercle chromatique. Car si le noir était un hommage à Richard Serra, les couleurs aujourd’hui révèlent l’admiration pour Mark Rothko. Mais l’autorité en matière de monochrome ne saurait être suffisante ; ce serait oublier la manière personnelle qu’a Maya Mémin d’accueillir chance et aubaines. Ainsi l’usage des couleurs typographiques de l’imprimerie Ouest-France qui lui permet analogies et rapprochements géographiques : le monochrome n’est pas pour elle un concept abstrait, il surgit des souks de Marrakech où les teinturiers étendent leurs tissus, tout comme d’un port d’Orient où claquent des voiles. Papiers nobles ou papiers d’emballage, peu importe, pourvu qu’ils puissent se dérouler sans souci des distances. Non pas mise à plat mais lisibilité du monde offert par le truchement d’une presse et la grâce d’un artiste.

*Maya Mémin, livre d’artiste, poèmes de Jaques Josse Danielle Robert-Guédon

Danielle Robert-Guédon